Histoire de Cambrai et du Cambrésis


Eugène BOULY de LESDAIN - 1841

(téléchargeable sur le Site de la B.N.F. ; cf liens généalogiques)

Faire un résumé de ce livre, je ne m’y serais certainement pas risqué. Comment faire quand chaque événement de l’Histoire a son importance ? Pourtant l’auteur l’a fait. Je vous livre donc le dernier paragraphe de ce livre d’environ 500 pages et son résumé :

Louis XIV et Fénélon ne sont plus : nous avons touché deux des plus belle gloires de la monarchie et de l’épiscopat ; ces grand noms se rattachent à l’Histoire de Cambrai : ils en sont pour ainsi dire la péripétie. Une fois conquise par Louis XIV, il n’y a plus de Cambrai, il ne reste qu’une ville française, aujourd’hui sous-préfecture du Nord, placée sur un des canaux absorbans de ce gouffre immense qu’on appelle la centralisation, abaissée sous le niveau d’une législation uniforme, disparue dans la fusion générale des villes d’un grand Royaume, veuve de ses franchises, de ses immunités ; ne conservant plus en dernière analyse que le triste privilège de payer des taxes et des impôts.

C’est donc ici que s’arrêteront nos annales : le lecteur trouvera le reste dans l’Histoire de France. Et maintenant que nous avons parcouru une carrière de 14 siècles, que nous avons vu dans leurs détails les vicissitudes, les gloires et les revers de notre cité ; résumons, en quelques ligne, tout ce grand drame historique pour en saisir l’ensemble et en garder par suite quelque souvenir.

Résumé


Jetez un coup-d’oeil dans la nuit des siècles, voyez... quelques lueurs percent les brouillards qui dorment sur les eaux vertes de l’Escaut, et de temps à autre sur un point de la rive apparaissent de pauvres huttes et de rares habitans. La dépouille des hôtes des forêts leur sert de manteau ; l’oiseau sauvage devient leur nourriture, ils honorent leurs dieux par le sacrifice de leurs semblables. Ces hommes farouches saisissent la sagaie, errent tout le jour dans les bois, sur les bords du fleuve, et quand vient le soir, se replongent dans les entrailles de la terre, car peu d’entre eux habitent des huttes les carrières leur offrent plus de sécurité.

Mais bientôt un général romain remarque cette sauvage bourgade, il en fait un lieu d’étape, une hôtellerie pour ses formidables bataillons qui sillonnent les gaules, et l’obscure village devient une forteresse importante. Un capitole, un amphithéâtre, des bains, des aqueducs en font une cité d’Italie. Alors subissant la loi des grandeurs, cette ville qu’on nomme Cambrai se voit en but aux dangers et aux vicissitudes. Des flots de barbares viennent battre ses murailles, prise et reprise par les grandes armées qui s’agitent sur le sol antique des Nerviens elle reçoit alternativement ses maîtres du Latium ou de la Scandinavie.

Enfin Clodion parait, y entre en vainqueur, et las du séjour des camps, confie à ses murs la sûreté d’un trône royal.

Mais les murailles sont un faible abri pour les trônes ; Aëtius assiège Cambrai ; puis cette cité disparaît de nouveau dans les brouillards du temps.

Plus tard elle reparaît avec Clovis qui y protège les prédications de St-Vaast. Les sacrifices humains cessent, le christianisme fait sentir sa salutaire influence, et quelques temps après, Saint-Géry élève un monastère à l’endroit même où le sang de l’homme honorait, dans de sacrilèges cérémonies, les dieux enfans de l’erreur et du paganisme.

Alors se forme et se développe la grande famille cambresienne à laquelle Charlemagne, à son tour, vient donner une consécration solennelle, par l’octroi ou la confirmation de ses franchises et de ses immunités. Déjà des privilèges particuliers sont devenus le prix de la vaillance et de la fermeté des fils du Cambresis. Les siècles marchent, apportant avec eux les évennemens et les destinées des nations. Ils amènent Charles-le-Chauve qui, pour assurer la défense de la Gaule-Belgique contre l’ennemi, crée ces comtes flamands dont plusieurs ont été fameux dans l’Histoire. Les comtes de Cambrai ceignent leur couronne, mais n’ont pas assez de puissance pour la défendre : en 881 les barbares, dans une irruption, tombent sur Cambrai qu’ils mettent deux fois à feu et à sang. Les ravages se réparent, notre ville prend vers la fin du neuvième siècle un développement considérable ; les droits de la bourgeoisie qui ne seront pas encore tout ce qu’ils seront plus tard, s’étendent néanmoins déjà jusque sur les affaires religieuses ; les bourgeois concourent avec le clergé et la noblesse à l’élection de leurs évêques, et plus tard ces évêques devenus en même temps comtes de Cambrai, n’en sont pas moins élus par le peuple tout entier. C’est ainsi que le peuple dans ces temps que l’on dira un jour d’esclavage et de monachisme, jouit à Cambrai de libertés, de droits et de privilèges très étendus. Il choisit ses chefs spirituels et temporels, il n’a de maîtres que ceux qu’il s’est donnés. Hélas ! il viendra un siècle de liberté où il n’aura plus qu’à les recevoir en s’inclinant, sans garder même la permission de s’en plaindre.

Cette fusion des qualités de princes et d’évêque, cette réunion sur la même tête de la couronne de comte et de la mitre épiscopale, semblerait singulière si l’on ne se rappelait pas les circonstances qui ont amené l’Empereur suzerain à introduire un changement d’institution. Les comtes et les évêques étaient souvent en guerre. C’était donner au pays de grandes garanties de repos que de confondre en un même homme ces deux hommes ennemis.

Quoiqu’il en fût des droits du peuple relatifs à l’élection, l’abus se glissait déjà dans l’exercice de ces droits. Delà de nouveaux troubles. Aussi voit-on souvent le cambresien indocile se révolter contre son évêque ; le chasser même quelquefois de la ville, sauf à réparer ensuite par des humiliations ces velléités d’affranchissement. C’est alors que surgit la commune qui disparaît bientôt pour revenir encore plusieurs fois. Le peuple de Cambrai est un peuple essentiellement libre, indépendant et susceptible à l’endroit de ses immunités. Il s’effarouche du moindre signe d’asservissement : des château, des donjons s’élèvent dans le Cambresis, il s’en effraye et un jour il déclare la guerre à ces redoutables manoirs, et change en un monceau de décombres les tours et les murailles qui menaçaient sa liberté. L’évêque lui-même se montre quelquefois pris de vertiges guerriers qui l’entraînent par la campagne à la tête de ses terribles bourgeois. Mais il n’est pas toujours le plus fort, et les seigneurs châtelains le ramènent quelquefois de rude manière jusques aux portes de la ville.

Cependant le peuple ne perd pas ses traditions insurrectionnelles et écrit en 1313 la page la plus formidable de l’Histoire de ses révolutions : au son religieux de la cloche qui appelle les fidèles à la prière, il fait ses vêpres cambresiennes. Il pille, il massacre, il démolit ; se gorge de vin, jette l’incendie jusque dans les campagnes, puis revient achever, dans le sommeil d’une sale ivresse, cette honteuse expédition dont il rougit quelque temps après.

Mais si Cambrai a ses orgies révolutionnaires, elle a aussi ses fêtes de haut lieu. Charles d’Allemagne y séjourne pendant quinze jours au mois de décembre 1377. Les enfans du duc de Bourgogne y épouse ceux du comte de Hainaut en 1385. Ces circonstances solennelles deviennent le sujet de réjouissances magnifiques.

Cambrai comme on le voit, est devenue une cité illustre. Aussi au fond de son noir château le farouche et politique Louis XI a jeté un regard d’envie sur ces vieux murs dont les échos ne répètent que des cris d’indépendance, dont les crénaux protègent des hommes libres ; il rêve l’asservissement de cette cité dont les bourgeois ont traité plus d’une fois d’égal à égal avec les monarques ses prédécesseurs. Il rêve, et son rêve se réalise : inutile de dire que Louis XI a eu recours à la ruse ; la ruse c’est l’arme du fils de Charles VII. Il est dans Cambrai, en fait fortifier les châteaux, y met garnison en son nom et fait gratter partout l’aigle d’Autriche. Mais bientôt l’empereur autrichien arrive, Louis XI a peur, gratte a son tour ses armes pour restaurer celles d’Autriche, il remet la ville dans sa neutralité et part non sans trouver moyen d’extorquer aux Cambresiens une énorme somme d’argent.

Louis XI est mort, le Cambresis se repose des vicissitudes qu’il a subies, mais si les agitations étrangères sont calmées, des germes de discorde fermentent dans la ville. Le chapitre de Notre-Dame, corps puissant, riche de privilèges et de droits exclusifs, veut se montrer quelquefois supérieur aux évêques, quelquefois aux échevins de la cité. Il prétend s’exempter des impôts, il lance l’excommunication, joignant le scandale à la cupidité, et il ne faut rien moins que de puissantes interventions pour rétablir l’ordre ainsi troublé dans la cité toute entière.

Cependant l’évêque et comte de Cambrai va bientôt s’élever dans la hiérarchie des dignités. En effet, le comté de Cambrai est érigé en duché, et Jacques de Croy ainsi que ses successeurs prennent à dater de 1510 le titre de ducs et comtes de Cambrai.

Tant d’honneurs en attirait d’autres : La paix des dames est conclue à Cambrai, François Ier le roi-chevalier, y visite Marguerite d’Autriche. Mais la guerre est déclarée de nouveau entre les monarques français et espagnol. Charles-Quint viole la neutralité de la ville et vient y construire une formidable citadelle., à l’endroit même où l’église St-Géry élève vers le ciel sa tour élégante, où la voix des moines chante les louanges du seigneur que plus d’une fois l’homme d’armes reniera du haut de sa tourelle.

Ainsi s’établit dans Cambrai la domination espagnole à laquelle viennent se joindre des fléaux de toutes espèces : la guerre, la peste, la famine ; et comme si ce n’était pas assez de ces funestes calamités, les divisions religieuses ne tardent pas à s’éveiller dans le pays. L’hérésie luthérienne y fait des ravages. Cambrai néanmoins en souffre peu à cause de la domination de l’Espagne qui est catholique. C’est à cette époque que le siège épiscopal est érigé en archevêché.

Cependant le Baron d’Inchy s’empare, au moyen d’une ruse, de la citadelle et de la ville qu’il ne tarde pas à livrer au duc d’Alençon. Celui-ci peu confiant dans la loyauté du baron qui avait, en lui livrant la ville, fait acte de fourberie, y établi le fameux Mont-Luc de Balagny, l’époux de Renée d’Amboise, cette orgueilleuse duchesse qui aima mieux mourir que vivre déchue.

Tandis que la malheureuse cité tombe ainsi d’esclavage en esclavage sous la mains d’hommes puissants qui se disent ses protecteurs, son véritable souverain, le duc de Cambrai, réfugié à Mons, exerce de loin une ombre de pouvoir ecclésiastique. Mais ces derniers lambeaux d’une puissance évanouie lui échappent sous le règne d’Henry IV à qui Balagny, qui se voit chanceler sur son espèce de trône, fait hommage de la ville.

C’en est fait depuis longtemps de la domination espagnole, et pourtant les Cambresiens la regrettent, car Balagny est un infâme exacteur, ses soldats se comportent dans la ville comme en pays conquis. La haine contre Balagny s’accroit de jour en jour, chacun le réprouve dans son cœur et rappelle de ses vœux l’archevêque-duc avec les anciens privilèges bourgeois et les échevins populaires que l’on a remplacé par des hommes vendus au français.

Telles sont les dispositions du peuple lorsque l’armée espagnole reparait sous les murailles cambresiennes. Les bourgeois acceptent ce secours comme envoyé du ciel, une révolution s’opère dans la ville en même temps que le comte de Fuentes bat en brèche ses murailles. Balagny est renvoyé. Mais alors l’intrigue, les intérêts particuliers s’asseyent au conseil de la commune, et plutôt que de reprendre leurs anciennes institutions, les Cambresiens se font de nouveau Espagnols. Alors l’Espagne étend de plus en plus ses pouvoirs qui envahissent et absorbent les droits populaires. Elle arrives jusqu’à nommer les évêques et les échevins. De saints prélats justifient les espérances que l’on conçoit d’eux. Vanderburgh, l’immortel Vanderburgh vient répandre ses bienfaits sur la ville, et principalement dans le sein des pauvres. Après les bienfaits du prélat, viennent les vengeances des monarques. Louis XIII veut reprendre Cambrai, le comte d’Harcourt braque les canons français contre nos murs rebelles. Turenne, huit ans après, comme le comte d’Harcourt, envoye aux Cambresiens les boulets du roi de France, mais comme le comte d’Harcourt il échoue devant nos murailles.

Enfin Louis XIV prend Cambrai, lui donne Fénélon pour archevêque, et en fait pour jamais une ville de France.

Tel est le résumé rapide de cette grande histoire de quatorze siècles. Plus d’une fois en écrivant les annales de notre chère cité, notre cœur s’est gonflé de tristesse au souvenir de ses misères, notre orgueil filial s’est éveillé à la pensée du courage de nos pères. En somme la gloire a égalé les malheurs, cette petite population fut un grand peuple ; mais ce peuple a eu son tombeau.

Une consolation nous reste aujourd’hui : c’est que ce tombeau c’est la France.