Faire un résumé de ce livre, je ne m’y serais certainement pas risqué. Comment
faire quand chaque événement de l’Histoire a son importance ? Pourtant
l’auteur l’a fait. Je vous livre donc le dernier paragraphe de ce livre
d’environ 500 pages et son résumé :
Louis XIV et Fénélon ne sont plus : nous avons touché deux des
plus belle gloires de la monarchie et de l’épiscopat ; ces grand noms se
rattachent à l’Histoire de Cambrai : ils en sont pour ainsi dire la péripétie.
Une fois conquise par Louis XIV, il n’y a plus de Cambrai, il ne reste
qu’une ville française, aujourd’hui sous-préfecture du Nord, placée sur
un des canaux absorbans de ce gouffre immense qu’on appelle la centralisation,
abaissée sous le niveau d’une législation uniforme, disparue dans la fusion
générale des villes d’un grand Royaume, veuve de ses franchises, de ses
immunités ; ne conservant plus en dernière analyse que le triste privilège de
payer des taxes et des impôts.
C’est donc ici que s’arrêteront nos annales : le lecteur trouvera le reste dans
l’Histoire de France. Et maintenant que nous avons parcouru une carrière de
14 siècles, que nous avons vu dans leurs détails les vicissitudes, les gloires
et les revers de notre cité ; résumons, en quelques ligne, tout ce grand drame
historique pour en saisir l’ensemble et en garder par suite quelque souvenir.
Résumé
Jetez un coup-d’oeil dans la nuit des siècles, voyez... quelques
lueurs percent les brouillards qui dorment sur les eaux vertes de l’Escaut, et
de temps à autre sur un point de la rive apparaissent de pauvres huttes et de
rares habitans. La dépouille des hôtes des forêts leur sert de manteau ;
l’oiseau sauvage devient leur nourriture, ils honorent leurs dieux par le
sacrifice de leurs semblables. Ces hommes farouches saisissent la sagaie, errent
tout le jour dans les bois, sur les bords du fleuve, et quand vient le soir, se
replongent dans les entrailles de la terre, car peu d’entre eux habitent des
huttes les carrières leur offrent plus de sécurité.
Mais bientôt un général romain remarque cette sauvage bourgade, il en
fait un lieu d’étape, une hôtellerie pour ses formidables bataillons qui
sillonnent les gaules, et l’obscure village devient une forteresse importante.
Un capitole, un amphithéâtre, des bains, des aqueducs en font une cité
d’Italie. Alors subissant la loi des grandeurs, cette ville qu’on nomme
Cambrai se voit en but aux dangers et aux vicissitudes. Des flots de barbares
viennent battre ses murailles, prise et reprise par les grandes armées qui
s’agitent sur le sol antique des Nerviens elle reçoit alternativement ses maîtres
du Latium ou de la Scandinavie.
Enfin Clodion parait, y entre en vainqueur, et las du séjour des camps,
confie à ses murs la sûreté d’un trône royal.
Mais les murailles sont un faible abri pour les trônes ; Aëtius assiège
Cambrai ; puis cette cité disparaît de nouveau dans les brouillards du temps.
Plus tard elle reparaît avec Clovis qui y protège les prédications de
St-Vaast. Les sacrifices humains cessent, le christianisme fait sentir sa
salutaire influence, et quelques temps après, Saint-Géry élève un monastère
à l’endroit même où le sang de l’homme honorait, dans de sacrilèges cérémonies,
les dieux enfans de l’erreur et du paganisme.
Alors se forme et se développe la grande famille cambresienne à
laquelle Charlemagne, à son tour, vient donner une consécration solennelle,
par l’octroi ou la confirmation de ses franchises et de ses immunités. Déjà
des privilèges particuliers sont devenus le prix de la vaillance et de la
fermeté des fils du Cambresis. Les siècles marchent, apportant avec eux les évennemens
et les destinées des nations. Ils amènent Charles-le-Chauve qui, pour assurer
la défense de la Gaule-Belgique contre l’ennemi, crée ces comtes flamands
dont plusieurs ont été fameux dans l’Histoire. Les comtes de Cambrai
ceignent leur couronne, mais n’ont pas assez de puissance pour la défendre :
en 881 les barbares, dans une irruption, tombent sur Cambrai qu’ils mettent
deux fois à feu et à sang. Les ravages se réparent, notre ville prend vers la
fin du neuvième siècle un développement considérable ; les droits de la
bourgeoisie qui ne seront pas encore tout ce qu’ils seront plus tard, s’étendent
néanmoins déjà jusque sur les affaires religieuses ; les bourgeois concourent
avec le clergé et la noblesse à l’élection de leurs évêques, et plus tard
ces évêques devenus en même temps comtes de Cambrai, n’en sont pas moins élus
par le peuple tout entier. C’est ainsi que le peuple dans ces temps que l’on
dira un jour d’esclavage et de monachisme, jouit à Cambrai de libertés, de
droits et de privilèges très étendus. Il choisit ses chefs spirituels et
temporels, il n’a de maîtres que ceux qu’il s’est donnés. Hélas ! il
viendra un siècle de liberté où il n’aura plus qu’à les recevoir
en s’inclinant, sans garder même la permission de s’en plaindre.
Cette fusion des qualités de princes et d’évêque, cette réunion sur
la même tête de la couronne de comte et de la mitre épiscopale, semblerait
singulière si l’on ne se rappelait pas les circonstances qui ont amené l’Empereur
suzerain à introduire un changement d’institution. Les comtes et les évêques
étaient souvent en guerre. C’était donner au pays de grandes garanties de
repos que de confondre en un même homme ces deux hommes ennemis.
Quoiqu’il en fût des droits du peuple relatifs à l’élection,
l’abus se glissait déjà dans l’exercice de ces droits. Delà de nouveaux
troubles. Aussi voit-on souvent le cambresien indocile se révolter contre son
évêque ; le chasser même quelquefois de la ville, sauf à réparer ensuite
par des humiliations ces velléités d’affranchissement. C’est alors que
surgit la commune qui disparaît bientôt pour revenir encore plusieurs
fois. Le peuple de Cambrai est un peuple essentiellement libre, indépendant et
susceptible à l’endroit de ses immunités. Il s’effarouche du moindre signe
d’asservissement : des château, des donjons s’élèvent dans le Cambresis,
il s’en effraye et un jour il déclare la guerre à ces redoutables manoirs,
et change en un monceau de décombres les tours et les murailles qui menaçaient
sa liberté. L’évêque lui-même se montre quelquefois pris de vertiges
guerriers qui l’entraînent par la campagne à la tête de ses terribles
bourgeois. Mais il n’est pas toujours le plus fort, et les seigneurs châtelains
le ramènent quelquefois de rude manière jusques aux portes de la ville.
Cependant le peuple ne perd pas ses traditions insurrectionnelles et écrit
en 1313 la page la plus formidable de l’Histoire de ses révolutions : au son
religieux de la cloche qui appelle les fidèles à la prière, il fait ses vêpres
cambresiennes. Il pille, il massacre, il démolit ; se gorge de vin, jette
l’incendie jusque dans les campagnes, puis revient achever, dans le sommeil
d’une sale ivresse, cette honteuse expédition dont il rougit quelque temps
après.
Mais si Cambrai a ses orgies révolutionnaires, elle a aussi ses fêtes
de haut lieu. Charles d’Allemagne y séjourne pendant quinze jours au mois de
décembre 1377. Les enfans du duc de Bourgogne y épouse ceux du comte de
Hainaut en 1385. Ces circonstances solennelles deviennent le sujet de réjouissances
magnifiques.
Cambrai comme on le voit, est devenue une cité illustre. Aussi au fond
de son noir château le farouche et politique Louis XI a jeté un regard
d’envie sur ces vieux murs dont les échos ne répètent que des cris d’indépendance,
dont les crénaux protègent des hommes libres ; il rêve l’asservissement de
cette cité dont les bourgeois ont traité plus d’une fois d’égal à égal
avec les monarques ses prédécesseurs. Il rêve, et son rêve se réalise :
inutile de dire que Louis XI a eu recours à la ruse ; la ruse c’est l’arme
du fils de Charles VII. Il est dans Cambrai, en fait fortifier les châteaux, y
met garnison en son nom et fait gratter partout l’aigle d’Autriche. Mais
bientôt l’empereur autrichien arrive, Louis XI a peur, gratte a son tour ses
armes pour restaurer celles d’Autriche, il remet la ville dans sa neutralité
et part non sans trouver moyen d’extorquer aux Cambresiens une énorme somme
d’argent.
Louis XI est mort, le Cambresis se repose des vicissitudes qu’il a
subies, mais si les agitations étrangères sont calmées, des germes de
discorde fermentent dans la ville. Le chapitre de Notre-Dame, corps puissant,
riche de privilèges et de droits exclusifs, veut se montrer quelquefois supérieur
aux évêques, quelquefois aux échevins de la cité. Il prétend s’exempter
des impôts, il lance l’excommunication, joignant le scandale à la cupidité,
et il ne faut rien moins que de puissantes interventions pour rétablir
l’ordre ainsi troublé dans la cité toute entière.
Cependant l’évêque et comte de Cambrai va bientôt s’élever dans
la hiérarchie des dignités. En effet, le comté de Cambrai est érigé en duché,
et Jacques de Croy ainsi que ses successeurs prennent à dater de 1510 le titre
de ducs et comtes de Cambrai.
Tant d’honneurs en attirait d’autres : La paix des dames est conclue
à Cambrai, François Ier le roi-chevalier, y visite Marguerite d’Autriche.
Mais la guerre est déclarée de nouveau entre les monarques français et
espagnol. Charles-Quint viole la neutralité de la ville et vient y construire
une formidable citadelle., à l’endroit même où l’église St-Géry élève
vers le ciel sa tour élégante, où la voix des moines chante les louanges du
seigneur que plus d’une fois l’homme d’armes reniera du haut de sa
tourelle.
Ainsi s’établit dans Cambrai la domination espagnole à laquelle
viennent se joindre des fléaux de toutes espèces : la guerre, la peste, la
famine ; et comme si ce n’était pas assez de ces funestes calamités, les
divisions religieuses ne tardent pas à s’éveiller dans le pays. L’hérésie
luthérienne y fait des ravages. Cambrai néanmoins en souffre peu à cause de
la domination de l’Espagne qui est catholique. C’est à cette époque que le
siège épiscopal est érigé en archevêché.
Cependant le Baron d’Inchy s’empare, au moyen d’une ruse, de la
citadelle et de la ville qu’il ne tarde pas à livrer au duc d’Alençon.
Celui-ci peu confiant dans la loyauté du baron qui avait, en lui livrant la
ville, fait acte de fourberie, y établi le fameux Mont-Luc de Balagny, l’époux
de Renée d’Amboise, cette orgueilleuse duchesse qui aima mieux mourir que
vivre déchue.
Tandis que la malheureuse cité tombe ainsi d’esclavage en esclavage
sous la mains d’hommes puissants qui se disent ses protecteurs, son véritable
souverain, le duc de Cambrai, réfugié à Mons, exerce de loin une ombre de
pouvoir ecclésiastique. Mais ces derniers lambeaux d’une puissance évanouie
lui échappent sous le règne d’Henry IV à qui Balagny, qui se voit chanceler
sur son espèce de trône, fait hommage de la ville.
C’en est fait depuis longtemps de la domination espagnole, et pourtant
les Cambresiens la regrettent, car Balagny est un infâme exacteur, ses soldats
se comportent dans la ville comme en pays conquis. La haine contre Balagny s’accroit
de jour en jour, chacun le réprouve dans son cœur et rappelle de ses vœux
l’archevêque-duc avec les anciens privilèges bourgeois et les échevins
populaires que l’on a remplacé par des hommes vendus au français.
Telles sont les dispositions du peuple lorsque l’armée espagnole
reparait sous les murailles cambresiennes. Les bourgeois acceptent ce secours
comme envoyé du ciel, une révolution s’opère dans la ville en même temps
que le comte de Fuentes bat en brèche ses murailles. Balagny est renvoyé. Mais
alors l’intrigue, les intérêts particuliers s’asseyent au conseil de la
commune, et plutôt que de reprendre leurs anciennes institutions, les
Cambresiens se font de nouveau Espagnols. Alors l’Espagne étend de plus en
plus ses pouvoirs qui envahissent et absorbent les droits populaires. Elle
arrives jusqu’à nommer les évêques et les échevins. De saints prélats
justifient les espérances que l’on conçoit d’eux. Vanderburgh,
l’immortel Vanderburgh vient répandre ses bienfaits sur la ville, et
principalement dans le sein des pauvres. Après les bienfaits du prélat,
viennent les vengeances des monarques. Louis XIII veut reprendre Cambrai, le
comte d’Harcourt braque les canons français contre nos murs rebelles.
Turenne, huit ans après, comme le comte d’Harcourt, envoye aux Cambresiens
les boulets du roi de France, mais comme le comte d’Harcourt il échoue devant
nos murailles.
Enfin Louis XIV prend Cambrai, lui donne Fénélon pour archevêque, et
en fait pour jamais une ville de France.
Tel est le résumé rapide de cette grande histoire de quatorze siècles.
Plus d’une fois en écrivant les annales de notre chère cité, notre cœur
s’est gonflé de tristesse au souvenir de ses misères, notre orgueil filial
s’est éveillé à la pensée du courage de nos pères. En somme la gloire a
égalé les malheurs, cette petite population fut un grand peuple ; mais ce
peuple a eu son tombeau.
Une consolation nous reste aujourd’hui : c’est que ce tombeau c’est la France.